Il y a plusieurs façons de laisser sa trace dans une ville, et parmi celles-ci, les legs artistiques sont primordiaux. En effet, ils déterminent si une ville sera agréable à vivre ou non… Et si certains grands artistes du passé sont célébrés, d’autres tendent à être négligés. À mon avis, Guido Nincheri est l’un de ceux-là. Né en Italie en 1885, cet artiste aux multiples talents s’est installé à Montréal en 1914, avant d’illuminer de ses vitraux et de ses peintures le Château Dufresne, une dizaine d’églises Montréalaises, une douzaine d’autres au Québec et d’exporter son savoir-faire dans 8 provinces et 6 États américains! Il a ainsi fait rayonner son atelier, installé sur le boulevard Pie-IX, pendant des décennies. Mais qu’en reste-t-il?

Un parcours inspirant

Promis à un bel avenir, Guido Nincheri étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Florence, où il se perfectionne pendant 12 ans. Il s’intéresse particulièrement à la peinture, l’architecture et la décoration. En 1913, il épouse la jeune Giulia Bandinelli, avec qui il décide de partir pour l’Amérique. Le couple se trouve à Boston lorsque la Première guerre mondiale éclate. Pas question de retourner en Europe! Des amis de la famille lui parlent alors en bien de Montréal, une ville qui l’attire par son côté latin. C’est ainsi que le couple arrive en sol québécois en 1914.

Il trouve d’abord du travail auprès du décorateur Henri Perdriau (1877-1950), qui lui apprend l’art du vitrail. À cette époque, Guido Nincheri s’occupe déjà du décor de l’église St-Viateur, à Outremont.

Au début de sa carrière, il réalise les intérieurs de plusieurs théâtres et restaurants, malheureusement disparus depuis, mais ce sont surtout les communautés religieuses qui le réclament pour son style inspiré de la Renaissance et du Baroque italien.

Devenu maître verrier, Guido Nincheri installe son atelier au rez-de-chaussée d’une maison du boulevard Pie-IX, au sud de la rue Ontario. L’étage est alors occupé par les ingénieurs de la compagnie d’Oscar Dufresne, fameux frère de l’autre Dufresne, avec qui il édifia le Château qui porte aujourd’hui leur nom, coin Sherbrooke. La compagnie prête alors gracieusement l’espace à Guido Nincheri, en échange de la décoration du Château!

C’est ce qui explique que celui-ci abrite aujourd’hui la plus importante collection d’œuvres profanes de l’artiste.

On dit que l’atelier de Guido Nincheri a produit plus de 2000 vitraux! En tant que décorateur, il crée à l’occasion des intérieurs complets, comme c’est le cas dans l’église Notre-Dame-de-la-Défense, dans la Petite-Italie.

On considère toutefois que son chef-d’œuvre est l’église St-Léon, à Westmount, qu’il a décorée entre 1928 et 1944. L’impressionnant intérieur est constitué de fresques, de peintures, de sculptures et d’un mobilier original, désigné « lieu historique national » en 1997…

D’autre contributions, comme sur les verrières de la bibliothèque Saint-Sulpice ou sur celles de la bibliothèque de l’Assemblée nationale attirent l’attention sur lui, au point où on le surnomme alors « le Michel-Ange de Montréal »!

La 2e guerre gâche tout

L’aventure de la décoration de l’église Notre-Dame-de-la-Défense marque un tournant dans la vie de Guido Nincheri. Sa grande fresque de l’abside comporte un élément inusité : on y voit Mussolini, à cheval, aux pieds du pape Pie-XI. Peinte entre 1930 et 1933, cette fresque honore les accords du Latran, qui créent l’État du Vatican, signé en 1929 par Mussolini et le pape… En 1933, le pape Pie-XI lui décerne le titre de Commandeur de l’ordre de Saint-Sylvestre, pour souligner sa contribution à l’art religieux au Canada. Il a déjà, à cette époque, 28 décors et 175 vitraux d’église à son actif au pays.

Mais en 1940, Guido Nincheri est arrêté et détenu en vertu de la Loi des mesures de guerre. On l’accuse de fascisme à cause de ses origines italiennes et du portrait du dictateur peint dans l’église Notre-Dame-de-la-Défense! Comme d’autres membres de la communauté italo-canadienne, il est interné au camp de Petawawa. Adulé il y a peu, il est répudié du jour au lendemain, dans ce triste épisode de notre histoire..

Giulia, son épouse, réussit toutefois à le faire libérer au bout de trois mois, grâce aux croquis originaux de son mari, qui montraient que Mussolini n’y figurait pas… En effet, Guido Nincheri avait dû l’ajouter en cours de travaux, faute de quoi la paroisse lui auraient retiré ce très lucratif contrat!

Au camp de Petawawa, il rencontre un prisonnier célèbre, Camillien Houde, qui s’était opposé à la conscription. Il y fait son portrait, dessin qui sera ultérieurement utilisé lors de la campagne électorale de 1944, qui ramènera Camillien Houde à la mairie de Montréal!

Marqué par son arrestation, il se tournera vers les États-Unis pour poursuivre sa carrière et décédera en 1973, à Providence dans le Rhode Island.

Une reconnaissance timide

Ce n’est que vingt ans plus tard, en 1992, qu’il recevra de manière posthume le titre de Grand bâtisseur de Montréal, lors du 350e anniversaire de la ville. Ironiquement, c’est lors du 375e anniversaire de la ville qu’on passe proche de retirer son nom au petit parc nommé en son honneur, en face du Château Dufresne… Heureusement, le parc de la Ville-de-Québec ne verra pas le jour et s’intégrera plutôt au Parc Guido-Nincheri, sous le nom de Promenade de la Ville-de-Québec…

Outre ces reconnaissances, nous avons la chance inouïe d’avoir un autre témoignage marquant de cet artiste de talent : son atelier! Le musée du Château Dufresne a fait l’acquisition du studio de Guido Nincheri, utilisé après sa mort par un de ses employés, Matteo Martirano, jusqu’au décès de ce dernier, en 1992. Plusieurs maquettes réalisées par Guido Nincheri, de même que des artefacts et documents qui retracent sa vie, se trouvent toujours dans ce lieu. Mais pour le faire vivre, il faut toutefois des sous! Et le Musée du Château Dufresne se cherche toujours un mécène (et un soutien populaire) pour préserver, valoriser et animer le Studio Nincheri, installé dans un joli édifice Art déco.

Force est de constater que la mémoire de ce Montréalais d’exception est toujours menacée… Et pourtant, tant par son histoire de vie que par son œuvre, il témoigne de son époque et de l’évolution de notre ville! Saurons-nous enfin lui rendre hommage pour ce riche héritage qu’il nous a laissé?

Dans une société où on ne fréquente plus guère les églises, qui côtoie aujourd’hui ses magnifiques vitraux?

Et vous, lectrices et lecteurs, avez-vous déjà visité le Château Dufresne pour découvrir ses oeuvres, dans ce petit palais si étonnant, trop peu connu des Montréalais?

J’ose rêver que d’ici 2022, 30e anniversaire de sa désignation au titre de Grand bâtisseur de Montréal, on ait trouvé le moyen de mettre en lumière son travail extraordinaire et qu’on rouvre son atelier au public, le Studio Nincheri!

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