Du 24 au 26 septembre 2014, à Séoul, se déroulait la 14e conférence mondiale de l’Association des Centres de recherches sur l’Utilisation Urbaine du Sous-sol (ACUUS), une organisation internationale basée à Montréal. Même si nous croyons avoir sous nos pieds la plus grande ville intérieure du monde, malgré ses 33km de tunnels et ses 225 000 utilisateurs quotidiens en semaine, Montréal n’aura plus la première place dans ce domaine pour encore longtemps…
Toronto, notre habituelle rivale, nous a maintenant rattrapés sur plusieurs critères, comme celui du nombre de km, et elle poursuit son développement! Elle n’est pas la seule à étendre son réseau, car ce sont maintenant plus de 55 villes, en Amérique du Nord seulement, qui ont une vie souterraine organisée. L’intérêt pour ces structures urbaines est très grand en Asie aussi, comme le démontre l’organisation, par l’ACUUS, de sa conférence internationale à Shenzhen en 2009, à Singapour en 2012 et à Séoul il y a quelques jours.
L’idée de vivre en partie en sous-sol n’est pas nouvelle. On pourrait même dire qu’elle date de la préhistoire, mais malgré cette existence de longue date, trop de Montréalais pensent encore aujourd’hui que notre ville souterraine est une lubie des années 60, anachronique et dépassée. Ce qui est loin d’être le cas si on se fie aux développements de ce type de constructions, souvent inspirées par… Montréal! Alors, que voulons-nous: ignorer une caractéristique de notre ville qui la fait rayonner à l’international ou maintenir notre avance dans ce domaine et valoriser cet acquis?
Une ville dans la ville
Pour commencer, il serait bien de reconnaître que notre ville souterraine a des particularités qui en font, encore aujourd’hui, un modèle. Peut-être imparfait aux yeux de plusieurs, mais tout de même attrayant, avec ses places, ses atriums, ses fontaines. Au moment où les plus grands spécialistes de ces questions se réunissent à l’autre bout du monde, je vous propose de rêver un peu à ce que pourrait être notre Montréal souterrain si nous y investissions un peu de notre créativité. Car il y a dans notre RÉSO tout un potentiel qui ne demande qu’à être développé.
Par exemple, comme le faisait le projet ARS Natura il y a quelques années, en utilisant la rotonde à l’intérieur de la station Square-Victoria pour faire connaître, avec des vidéos immersives, les Muséums nature (devenus depuis Espace pour la Vie). Ces vidéos, qui ont fonctionné jusqu’en 2008 environs, étaient clairement en avance sur leur temps! Comme la ville souterraine, l’extraordinaire espace de la rotonde, surtout connu pour ses échos, offre encore aujourd’hui un terreau fertile pour n’importe quel créateur… Il suffirait de l’exploiter.
D’autres projets pourraient facilement être développés en sous-sol, comme des concerts sur l’heure du midi l’hiver, des marchés ambulants l’été, ou, pour se rappeler le bon vieux temps où il y avait une bibliothèque municipale au cœur de la station McGill, ajouter des bibliothèques libre-service (comme celles dont je parlais il n’y a pas si longtemps) dans les stations les plus achalandées du métro. Des idées pour animer « la ville dans la ville », je suis convaincu qu’il y en a autant qu’il y a d’utilisateurs! Vous, quelle est votre idée pour améliorer nos souterrains?
S’y retrouver
Une des propositions que j’ai souvent vu être mise de l’avant est celle de nommer les lieux les plus connus du réseau souterrain. La rotonde, par exemple, pourrait gagner une majuscule et un nom… Le corridor menant de la station Berri-UQAM à la rue Saint-Denis pourrait devenir le Corridor-du-Quartier-Latin. Évidemment, nommer les lieux viendrait avec une certaine exigence de signalisation. Ça simplifierait la vie de bien des gens qui se donnent rendez-vous sous terre si les lieux avaient un nom.
Quand j’étais jeune, on savait que, lorsqu’on avait rendez-vous à « la cenne », c’était le banc rond au centre de la station Berri-UQAM, entre les tourniquets (d’autres l’appellent « la puck »). Personne n’avait besoin de spécifier que c’était dans le métro, même si la cenne en question était à au moins 5 stations de notre lieu de résidence.
En plus de désigner des noms aux endroits emblématiques du métro, on pourrait aussi penser à un mobilier urbain typique, utilisé dans tous les souterrains pour marquer le chemin entre les différentes parties du réseau. Ces bancs, poubelles et poteaux signalétiques pourraient en plus offrir des indications précises sur leur environnement immédiat. Et s’ils partageraient le même design, il suffirait de les suivre pour passer d’un espace à un autre, comme autant de repères.
Il y a déjà eu un projet de doter le Montréal souterrain de bornes interactives d’information pour les visiteurs (il y a environ 12 ans). Un autre projet nettement en avance sur son temps, qui n’a pas été réalisé celui-là, mais qui devient, avec les technologies d’aujourd’hui, un projet sensé…
En effet, pourquoi ne pas penser à une application, disponible sur nos téléphones intelligents, qui permettrait de se retrouver dans nos sous-sols? Une application qui donne accès aux petits bijoux du réseau, comme les Cours Mont-Royal (et son grand escalier utilisé pour des défilés de mode), le hall du 1000 de la Gauchetière (et sa belle vue du haut de son escalier roulant), les espaces souterrains de la Place-des-Arts ou les surprenants corridors sous la Caisse de Dépôts et de Placements?
On pourrait même greffer à cette application de l’information sur les espaces extérieurs accessibles à quelques pas du souterrain, comme le jardin caché du Complexe Guy-Favreau, le toit vert du Hilton-Bonaventure (et ses arbres de près de 50 ans!), l’esplanade de la Place Ville-Marie et j’en passe…
On pourrait ainsi élaborer de véritables circuits touristiques, dignes de ce nom, à proposer aux milliers de visiteurs qui s’obstinent à passer quelques heures de leur périple à Montréal sous la terre. Ou pour faire redécouvrir aux Montréalais et aux gens des banlieues qui travaillent au centre-ville ces espaces mal aimés…
Puis un jour, à la lumière de cette circulation nouvelle entre la surface et les sous-sols, nous pourrions identifier les chaînons manquants essentiels au bon fonctionnement du réseau, à sa connexion avec la surface, et penser à poursuivre son développement par des tunnels, mais aussi par des accès directement aménagés en surface, pour répondre aux besoins d’activités d’un centre-ville vivant, été comme hiver, par beau ou par mauvais temps.
La plus grande galerie d’art en ville
Peu de gens le savent, mais il se cache en plus dans les souterrains de Montréal, une richesse artistique insoupçonnée. Digne des plus grands musées… Sans même parler de l’immense et très riche collection de la STM, je pense par exemple au mobile Solstice de Molinari, au magasin Simons, à Nature légère de Cormier, au Palais des Congrès, aux nombreuses œuvres du hall de la Tour de la Bourse ou au morceau du Mur de Berlin dans la ruelle des Fortifications (maintenant couverte) du Centre de Commerce Mondial de Montréal, pour ne mentionner que quelques exemples…
Il faudrait aussi ajouter les nombreuses fontaines, comme celle qui domine le miroir d’eau (photo ci-contre) à quelques pas du mur de Berlin, ou comme celles des centres commerciaux, accessibles par le réseau souterrain. Une fois toutes ces informations ajoutées à une application mettant en vedette le Montréal souterrain, je suis persuadé que nous serions épatés par la qualité de notre sous-sol. Et qu’il serait justifié d’aller chercher le Record Guinness de la plus grande galerie d’art souterraine au monde.
Mettre en valeur cet aspect du Montréal souterrain viendrait de plus renforcer l’initiative d’Art Souterrain, ce fameux festival qui me marque chaque année et qui a été l’élément déclencheur pour la rédaction de mon premier texte sur ce blogue… Cet événement d’hiver qui marie l’art contemporain, l’architecture et la ville souterraine, donne un souffle nouveau à nos corridors. Il les met en valeur, les exploite, les détourne, pour nous en mettre plein la vue, année après année. Une initiative unique et exceptionnelle qu’il faut encourager !
Le festival Art Souterrain, l’application culturelle et le titre de « record Guinness » pourraient, avec d’autres projets, modifier durablement et surtout positivement notre perception de la vie en sous-sol. Je l’ai déjà écrit, l’homme est un habitué des cavernes et c’est d’ailleurs là qu’il a produit ses plus vieilles œuvres d’art connues, comme celles des grottes de Lascaux (l’exposition du Centre des Sciences sur ses chefs-d’œuvre se termine d’ailleurs dans quelques jours !)
Miser sur nos forces
Si le passé est garant de l’avenir, le développement de la ville souterraine se poursuivra, à Montréal comme ailleurs. Le raccordement de l’immense complexe hospitalier du CHUM, actuellement en construction autour de la station de métro Champ-de-Mars, ajoutera d’ici peu un nouveau segment à notre réseau. D’autres suivront inévitablement, alors pourquoi ne pas miser sur cette facette qui démarque Montréal à l’international? Pour laquelle notre ville a une certaine reconnaissance?
Toronto pourra nous dépasser pour ce qui est du nombre de km, elle ne pourra pas rattraper nos cinquante ans d’aménagement, d’enrichissement de notre souterrain par l’art et la qualité de nos espaces publics sous terre. Profitons-en! Il y a tellement à voir que certains organismes, comme Kaleidoscope et Guidatour, proposent des visites du Montréal souterrain. Il est toujours bon de jouer un peu au touriste dans notre propre ville, pour la voir avec ces yeux nouveaux et en redécouvrir les richesses.
Car avouons-le, lorsqu’on visite nous même d’autres villes, on cherche à découvrir des lieux qu’on ne connaît pas, qui n’existent pas chez nous. Je l’ai fait lorsque je suis allé à Hong Kong, en découvrant avec fascination le réseau de passerelles aériennes développé pour nous permettre de passer au-dessus de la route qui traverse son centre-ville. Ce n’était pas beau, mais c’était différent. Et j’ai aimé y circuler, voir comment ils avaient pensé leur ville, me questionner sur la place du piéton face à l’automobile… Ce sont ces expériences que cherchent les touristes, et ils les trouvent aussi dans notre ville souterraine.
Alors, arrêtons de bouder cet atout qui est sous nos pieds et développons-le! Il y a là tout un potentiel à exploiter, pour notre qualité de vie comme pour attirer des touristes. Rêvons un peu et utilisons notre créativité pour montrer au monde que les champions du développement de la ville souterraine ne sont pas à Shenzhen, Singapour ou Séoul, mais bel et bien à Montréal!
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Pour poursuivre votre réflexion, je vous propose les livres suivants :
- Montréal Souterrain – Sous le béton, le mythe (2008)
- Montréal et Toronto, Villes intérieures, ouvrage plutôt académique, disponible à la Grande Bibliothèque – Niveau 1 – Documentaires 711.40971428 B6848m 2011 (il est aussi possible de le louer en format électronique)
Et le site internet de l’Observatoire de la ville intérieure
Enfin, pour rêver encore plus, je vous propose de visionner cette vidéo sur un projet de parc en souterrain à New-York qui montre qu’il n’y a pas de limites à l’imagination: le Lowline Underground Park