Je le voulais dans ma bibliothèque et il y a trôné des années. J’étais satisfait de mon trophée, mais troublé de ne pas prendre le temps de le mériter. J’ai fini par l’ouvrir, pour le dévorer comme un roman! L’histoire du Vieux-Montréal à travers son patrimoine est en effet un de ces livres qui trompe les conventions. Cette très officielle publication gouvernementale cache une passionnante reconstitution historique. Ainsi, on y raconte les débuts de notre ville comme on raconte une légende, en plaçant au cœur de l’action la ville elle-même, qui se transforme et se renouvelle à travers l’action de ses habitants. Mais pas n’importe lesquels. Oubliez les grandes figures historiques connues, ici, ce sont les gens qui bâtissent, qui possèdent, qui entretiennent les édifices qui sont pris à témoins. Ce sont ces « inconnus », presque des personnages de romans, qui portent le récit. On s’identifie facilement à eux et on se trouble à penser qu’à notre tour, nous forgeons la légende de demain…
Une lecture intelligente et passionnante, idéale pour des vacances allumées. Qui débute avec Un havre préhistorique, puis Ville-Marie française et amérindienne. Ce sont les deux sections où la légende se forge. Sur l’histoire du peuple qui nous a précédé ici, mais qui a disparu, puis sur la fondation de Montréal, en opposition à la volonté de Québec, construite sur un projet utopique poussé par la religion. Un roman je vous dis! Et aux accents très contemporains, comme en fait foi une affirmation en page 42 : « Cette habitude des Montréalais de garder les animaux de la basse-cour autour de la maison survivra encore longtemps malgré les règlements promulgués à maintes reprises par les autorités royales et civiles. » Plus ça change, plus c’est pareil! Vous rappelez-vous cette histoire d’il y a quelques jours sur le poulets recueillis par la SPCA chaque semaine? Comme quoi le patrimoine réside aussi dans l’inconscient collectif 😉
Mais il s’exprime plus clairement dans le bâti. Ainsi, notre trame urbaine, nos rues du Vieux-Montréal, sont restés immuablement inchangés depuis 1672. Mais pour rectifier la légende, le livre nous rappelle que les noms des rues n’évoquent pas les Saints, comme nous le croyons, mais rappellent plutôt le nom des propriétaires ayant du céder des terres pour permettre leur aménagement, ou des personnages historiques, comme Paul de Chomedey de Maisonneuve (rue Saint-Paul)… On s’éloignait déjà du projet utopique poussé par la religion.
Vient ensuite La ville fortifiée, construite et reconstruite. C’est dans cette section qu’on découvre ou redécouvre des édifices patrimoniaux anciens mais toujours debout, incitant à la promenade dans le Vieux pour partir à leur rencontre. Et soulignant l’intervention soutenue d’un acteur imprévu dans l’histoire de Montréal : le feu.
Le centre bourgeois, nouvelle façade de la ville, raconte de son côté l’enfouissement des rivières (voir mon texte Rivières enfouies sous la ville), l’aménagement de la première place publique et l’érection d’un monument inspiré de l’Antiquité. La « modernisation » de Montréal débutait, pour ne plus s’arrêter. Avec Le centre victorien, commerce et culture, on découvre toutefois que cette métamorphose s’intègre dans l’existant, tout en s’inspirant d’ailleurs. Ainsi, les palais vénitiens servent de source d’inspiration pour certaines nouvelles constructions! Il faut voir le 451, rue Saint-Pierre, pour réaliser à quel point… On y apprend aussi que l’histoire a le hoquet, et que les œuvres religieuses reprennent le devant de la scène dans le développement de la ville. D’immenses terrains sont développés par les congrégations pour tirer profit du commerce et financer les bonnes œuvres, nous léguant un riche patrimoine bâti commercial.
Mais aussi religieux. C’est à cette époque que, pour s’opposer au Vatican qui permet l’ouverture de nouvelles paroisses, les sulpiciens investissent massivement pour réaffirmer le prestige de l’église Notre-Dame, lui donnant sa prestance actuelle.
Le cœur de la métropole dans le vieux Montréal et un de ses sous-titres « la Wall Street du Nord », rappelle un âge d’or auquel nous pouvons toujours aspirer… En effet, c’est à cette époque que les tenants du « progrès » et ceux qui veulent construire sur les bases de notre patrimoine, s’opposent. Nous montrant, rétrospectivement, que vouloir tout raser pour répondre aux caprices du moment, sous prétexte de « progrès », n’est pas une voie viable pour le développement d’une ville, par définition vouée à subir pendant des décennies les cicatrices de ces coup de force. Bien peu de gens s’en souviennent, mais en 1948, un projet très sérieux d’autoroute surélevé sur De la Commune est lancé: l’autostrade… Et relancé en 1958! Heureusement, évoluer plutôt qu’effacer a fini par être le mode de développement qui a triomphé, nous permettant de profiter, aujourd’hui encore, d’un coin d’Europe en Amérique.
Enfin, Le Vieux-Montréal, le lieu et le temps retrouvé, témoigne de ce changement et des apports successifs qui font aujourd’hui de Montréal une ville si riche et diversifiée. Une anecdote montre même comment, encore en 1981, l’utopie religieuse qui avait servi de bougie d’allumage à la fondation de la ville, est venu réalimenter la flamme de son développement…
Un conte, je vous dis. L’histoire de notre ville est une vraie légende!
–
En complément, mais une lecture plus exigeante: Onon:ta’ une histoire naturelle du mont Royal.